(En attendant que ça sèche…)

 

L’espace pictural est pluriel, dans ses sources, ses rapprochements, puis dans ses degrés, ses strates. Peindre permet de se déplacer, mentalement et physiquement, mais pas au sens habituel. Le territoire reste le même, à savoir le tableau. Les déplacements s’opèrent à travers les couleurs et les formes ; il se produit des arrêts dans le temps qui déclenchent des accélérations mentales. On pourrait dire qu’il existe une certaine lenteur de la peinture, tout comme il est question de vitesse.
Le tableau n’est pas posé au sol, il n’est pas au milieu avec nous, il est en périphérie et lorsque nous lui faisons face, il ouvre le mur vers un ailleurs. Il ne dissimule aucun artifice au sens premier et pourtant il est capable de faire ressentir, d'interroger, d’emmener autre part, en nous faisant vivre l’instant présent.

Tout passe par ces tableaux et ils sont ce que je peux donner de plus sensiblement consistant… La peinture est mon moyen d’expérimenter le présent, marqué autant par des éléments et phénomènes existant depuis l’origine que par des nouveautés, comme le numérique, le virtuel, ou encore la génétique.
Ma peinture fait apparaître des rapports entre le naturel et l’artificiel. Elle « embryonne » entre le naturel, le spontané, l’organique et l’artificiel, le maîtrisé, l’industriel ; entre la matière pure, effusive, représentée par la consistance de la peinture et sa disparition, son émaciement ; entre imagination et réalité, excentricité et rigidité, illusion et planéité...
Ainsi se dégagent de ces tableaux des rapports entre des éléments d'ordres différents, voire opposés. Chaque peinture devient un lieu de confrontation, de rencontre, d'association ; un espace de réflexion, d'interrogation, d'expérimentation ; un endroit laissant libre cours à l'imagination, aux sensations, aux émotions, et à l’humour dans d’autres degrés…
Formes libres, informelles, en formation. Formes fermées, géométriques, finies.
La couleur qui forme d’elle-même, qui ne colore plus une forme pré-dessinée, ou la couleur enfermée, contenue dans des lignes-parois, en second, en remplissage.
Espace enfermant, strict, rigide; espace ouvert, confus, mouvant.

C’est un travail de peinture qui exerce des changements de point de vue tout comme des mélanges de points de vue différents. Je tente de créer des écarts, des décalages, des contrastes entre les libertés formelles et significatives qu’offre la peinture et les moyens mis en œuvre dans la réalité pour maîtriser, manipuler, vérifier… Comme si l’acte libre de peindre était inspecté, contrôlé, industrialisé, comme si notre propre corps l’était aussi, comme si l’artificiel technologique pénétrait l’organique…  Et parfois s’opère un renversement, ou juste une rencontre. C’est une sorte de jeu vital et extatique, imprégné de naïveté tout comme de recul.

Chaque tableau serait une sorte de porte ouvrant sur un monde fait à partir du nôtre, pour donner sur l’amplification de sensations, le démontage des certitudes, le quatrième degré…

(Lili Heller)

 

 

Quelques mots

 

La peinture - et sûrement l’art en général - n’a pas un but précis : elle n’est pas là pour juste apaiser ou angoisser; elle n’est ni dans le langage ni complètement hors de lui. Ce n’est pas un procédé à produire du sens, ou à rendre le sens plus accessible. Elle se place peut-être plus dans l’amplification de sensations, le démontage des certitudes, l’apparition, le quatrième degré…  Elle ouvre également sur le don direct à la personne, connue ou inconnue, en bref : aux autres. La peinture tisse un lien étrange entre l’artiste et toute autre personne amenée à faire l'expérience d'une rencontre avec le tableau. Il est question de liens qui alors ont lieu comme au-delà des codes et des manières, des âges et des milieux sociaux. Sans vouloir trop baigner dans l’utopisme, j’assume le fait de trouver cela essentiel et fabuleux.

(Lili Heller)

 

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